Pauline Haudepin, diplômée de l’École de TNS en 2017, présente sa nouvelle création : Chère Chambre. Elle y retrace les conséquences du geste d’une jeune fille qui, un soir, décide d’offrir son corps à un inconnu atteint d’un mal contagieux et incurable… À voir du 25 novembre au 5 décembre au Théâtre National de Strasbourg.
Votre nouvelle création se nomme « Chère Chambre », pourquoi ce choix ? Y a-t-il une symbolique particulière liée à la chambre dans la pièce ?
La chambre est un motif qui revient souvent dans mon travail. Selon moi, c’est un espace fort car c’est à la fois un lieu d’intimité mais il s’y dépose également des traces du monde extérieur. Finalement, mon théâtre est comme une chambre : il s’agit d’un théâtre intime qui se laisse traverser par les bruits du monde et les diverses questions qui m’habitent. De plus, j’apprécie travailler sur la frontière entre le monde réel et le merveilleux et la chambre est l’endroit du rêve par excellence. C’est un véritable lieu de frottement entre deux mondes.
Le personnage principal se nomme Chimène Chimère, pourquoi ?
Mes choix de noms de personnages sont très intuitifs. Je les analyse seulement après. Je ne cherche pas un nom en fonction de ce que je veux raconter. Chimène Chimère est plutôt liée à des sonorités. C’est un personnage qui pourrait être une jeune fille d’aujourd’hui mais qui a également un lien fort avec l’univers des contes et des mythes. La chimère désigne en effet une créature hybride, mais cela m’est apparu après la création du personnage.

Vous évoquez une forme de violence des liens organiques au sein d’une famille, notamment dans le lien de parents à enfants. Quelle place cela occupe dans la pièce ?
Il s’agit d’une évidence qui, soudain, est remise en cause. La pièce s’ouvre sur ce geste de Chimène, que l’on ne voit pas dans la pièce. En offrant son corps à cet homme, inconnu et sans-abri, elle contracte délibérément une maladie et revient dans sa famille avec celle-ci. Par conséquent, l’évidence des rapports et de la vie tranquille que mène cette famille va être bousculée et mise à nu par ce geste. Ce dernier passe par le corps et le don de Chimène qui évolue alors en toute transparence. Elle n’est pas comprise par son entourage mais c’est la plus transparente de tous. Tout semble évident et limpide pour elle : elle n’analyse pas son geste. Sa famille ne peut alors plus se raccrocher à cette forme de fable artificielle qui les unirait : il n’est plus possible de rester enfermé dans la chambre sans comprendre le lien qu’il y a entre l’intime et l’extérieur.
Outre la violence, vous présentez également des formes de tendresse et notamment l’idée d’une tendresse qui pourrait être subversive, pouvez-vous nous en dire davantage ?
La violence peut, certes, déplacer, renverser, être salutaire ou bien nécessaire. Cependant, l’idée qu’un geste de douceur puisse renverser autant les évidences et l’ordre établi m’intéresse tout particulièrement. Il s’agit de montrer qu’un geste de don et de douceur peut lever autant de questions et de problématiques qu’un geste de violence.
J’ai notamment lu des ouvrages d’Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, qui a, entre autres, écrit Les femmes et le sacrifice, La puissance de la douceur et Éloge du risque. J’ai découvert ces écrits pendant l’écriture, ils n’ont donc pas présidé à la création de la pièce. J’ai reconnu dans ces ouvrages des notions qui me touchent particulièrement, notamment sur ce que l’on décide de faire de sa vie. Dans Chère Chambre, on retrouve l’idée que Chimène, avant son geste, n’était pas en pleine possession de sa propre vie. Cette dernière était la propriété de ses parents et de sa copine qui en avaient toujours pris grand soin. Ce geste qui apparait aux yeux de son entourage comme un geste de sabotage d’une vie dont on avait pris tant de soin est, en réalité, pour Chimène, un véritable geste de liberation. Elle décide à qui donner sa vie et comment le faire.
Ainsi, il y a, dans la pièce, un contraste permanent entre la violence et la douceur. Puis, on fait face à différents types de douceur : il y a la douceur de Chimère, certes, mais il y a également la douceur de la mère qui porte une forme de brutalité car cette douceur cache, en vérité, un déni qui est violent. La pièce plonge alors à l’intérieur de rapports sociaux qui, afin de préserver une forme de douceur, deviennent violents. C’est Chimène qui, par son geste, vient mettre à jour tout cela. Et, à ce titre, Chimère énonce à Domino : « On sent la violence du courant en s’y opposant. Mais quand on le laisse nous emporter est-ce qu’il est moins brutal ? ».

D’où vous est venue l’envie d’aborder ces thématiques-là ?
Au départ, j’avais en tête l’histoire d’un couple qui accueille un jeune homme dans la chambre de leur fille disparue. Ce motif se retrouve, certes, dans la pièce mais j’ai ensuite développé une nouvelle intrigue autour de cela.
Puis, je me suis également rappelée le motif du baiser au lépreux que l’on retrouve dans L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel ou bien dans La légende de Saint-Julien l’Hospitalier de Flaubert. Ce n’est pas une réécriture mais il est intéressant de transposer dans un univers contemporain des motifs que l’on retrouve ailleurs, parfois même dans l’inconscient collectif.
Pourquoi avoir fait le choix d’une maladie de fiction ?
La pièce ne nomme pas cette maladie et la décrit peu. Cela permet en réalité de créer une large surface de projection pour le spectateur. Ainsi, cette maladie a une véritable charge métaphorique. Elle est l’incarnation physique d’un malaise : un malaise social et existentiel. Elle met à jour ce malaise qui est plus le sujet de la pièce que la maladie elle-même.
Par son geste, Chimène est vouée à mourir. Comment est traité le deuil dans la pièce ?
Un peu comme pour cette maladie qui atteint Chimène, le deuil a aussi une forme de métaphore : il déborde du deuil intime d’une personne que l’on va perdre. Il incarne alors le deuil d’une certaine vision du monde, de certains idéaux, de l’enfant qui ne reviendra plus, du début d’un amour… Dans Chère Chambre, les thématiques abordées ne sont jamais concrètes ou véritablement définies. Je ne souhaite pas tomber dans l’anecdote. Je cherche plutôt à atteindre des zones plus poétiques, plus ouvertes et plus larges : c’est ma manière à moi d’aborder des questions concrètes du monde.
Ici, le deuil ne prend pas un chemin habituel car il est anticipé. De plus, les personnages ne l’abordent pas tous de la même manière : Chimène l’aborde avec une forme de tranquillité déroutante, sa mère est dans le déni le plus absolu car elle construit une fable autour de la disparition de sa fille, le père semble comprendre le geste de sa fille, Domino, sa copine, est dans le refus et cela déclenche alors une grande colère.

Comment les thématiques abordées sont mises en scène ? Et qu’en est-il de la scénographie ?
La pièce s’ouvre sur ce drame familial. Puis, à mi-parcours, on assiste à l’arrivée d’une créature imaginaire qui n’est autre que le prolongement de l’imaginaire que développe Chimène dans ses peintures. Ce personnage propose une forme de glissement d’une dimension familiale à un espace plus poreux et plus onirique.
La scénographie, quant à elle, travaille à accompagner ce glissement. Dans la première partie, on se trouve dans la chambre-atelier de Chimène avec une petite profondeur de jeu : cela donne une sensation d’asphyxie. Avec l’arrivée de la créature imaginaire et avec l’épuisement des conflits et des analyses du geste de Chimène par son entourage, la structure du décor recule et s’ouvre davantage. Pour la dernière partie, on saisit en pleine lumière l’intégralité de l’espace : il ne s’agit plus de tenir le récit mais d’aller chercher les résonances de cette fiction.
Qu’en est-il de votre choix de mettre uniquement en scène vos propres textes ?
Jusqu’à présent, c’est un choix mais je n’ai pas envie de m’y restreindre. Le fait de mettre en scène mes propres textes me condamne à constamment avoir le nez dedans. Cependant, les longs mois qui se sont écoulés entre l’écriture et le montage de Chère Chambre ont été bénéfiques. J’ai pu prendre de la distance avec le texte. Cela me permet d’être moins littérale dans ma mise en scène. C’est essentiel de pouvoir prendre du recul sur son propre texte. Cela est également lié aux discussions que l’on mène avec l’équipe artistique pendant le montage de la pièce : j’arrive seulement avec des principes de mise en scène et non pas avec un chemin tout tracé. Je cherche à voir comment l’imaginaire collectif réagit face au texte que je propose.
Interview : Chloé Lefèvre
Le 17 novembre 2021 au Théâtre National de Strasbourg
Toutes les photographies sont issues des répétitions (crédit : Jean-Louis Fernandez)