Nathalie Béasse, metteuse en scène, chorégraphe et plasticienne et son équipe d’acteurs (Mehmet Bozkurt, Julie Grelet, Théo Salemkour) ont répondu à quelques questions concernant la nouvelle création « Nous revivrons », librement inspirée de L’Homme des Bois d’Anton Tchekhov.
Cette pièce, produite par la Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace et le Théâtre National de Strasbourg, fait partie de l’édition 2021 du projet d’itinérance « Par les villages ». « Nous revivrons » sera présentée dans douze villages de la région colmarienne. C’est ce 9 novembre 2021 à Orbey que cette création prendra corps devant son public.
Quel est l’état de votre processus de création à deux semaines de la première ?
Nathalie Béasse : Nous sommes encore en pleine création. J’ai choisi de m’inspirer librement du texte d’Anton Tchekhov : L’Homme des bois. Il s’agit simplement de reprendre certains passages et de se les approprier.
Cependant, je ne travaille pas uniquement sur le texte mais également sur le corps et les objets. Pour cela, nous avons travaillé dix jours à Strasbourg en septembre puis deux semaines à Colmar en octobre, avant de nous installer en résidence pour la dernière ligne droite au domaine du Beubois, sur les hauteurs d’Orbey. Au total, il s’agit de créer en quatre semaines un spectacle avec une équipe que l’on ne connaît pas, c’est un véritable défi !
De plus, il s’agit de théâtre in-situ. Cela signifie que nous devons travailler dans l’instant présent. Lorsque je suis sur le montage de ce type de spectacle, je travaille comme on le ferait pour le cinéma. Il s’agit de mettre les choses côte à côte, comme sur une fresque ou un tableau, puis d’assembler le tout. Et les répétitions agissent comme un canevas.
Je viens des Beaux-Arts, cela amène à avoir une vision plus globale de la création. Je considère que le texte est un partenaire sur scène, comme le serait un objet ou une musique. Par conséquent, il s’agit de raconter autre chose que ce que raconte le texte afin de pouvoir apporter sa propre vision.

Pourquoi avoir choisi de travailler sur des extraits de L’Homme des Bois d’Anton Tchekhov ?
Nathalie Béasse : J’ai rencontré l’œuvre de Tchekhov lorsque j’étudiais aux Beaux-Arts. Je transporte toujours une valise avec moi quand je travaille. À l’intérieur, on y trouve toute sorte de livres et L’Homme des Bois me suivait depuis très longtemps. C’est une œuvre qui présente des paysages, des vides, des solitudes… Il y a plein de phrases et de références à la forêt et à la nature. Ça me parle beaucoup !
C’est seulement la deuxième fois en vingt ans que je travaille sur l’adaptation d’un texte (j’ai déjà fait une adaptation de Richard III de William Shakespeare avec Roses). Cependant, il ne s’agit pas non plus de rester collé au texte. Je souhaite proposer une autre manière de voir et d’appréhender le texte. Il s’agit simplement de lâcher prise sur le sens du texte. Je cherche plutôt quelque chose de l’ordre de l’émotion, quelque chose qui serait presque inexplicable. Par conséquent, j’invite le public à être actif et à se débrancher du réel. C’est un travail poétique et onirique. Je considère que s’il y a 100 personnes dans la salle alors il y aura 100 spectacles différents. Je ne cherche pas à imposer un message mais plutôt à proposer une entrée vers un monde, vers des nouveaux questionnements.
Pour vous, interprètes, comment s’est passée la rencontre avec Nathalie Béasse ? Ce travail de création in situ est-il différent que dans le cadre des autres créations plus « traditionnelles » ?
Mehmet Bozkurt : Nous avons tous les trois participés au Programme 1er Acte. Initié par le Théâtre National de Strasbourg, ce programme cherche à développer une plus grande diversité dans l’accès aux plateaux de théâtre. Il permet donc de mettre en contact des jeunes artistes avec des metteur·ses en scène.
Julie Grelet : Le travail du texte est un peu différent. Pour cette création, je suis plus à l’écoute du corps et de ce qui se passe sur le plateau.
Mehmet Bozkurt : Il n’y pas de véritables différences par rapport à un processus de création plus classique. Pour toutes les créations, il y a toujours des choses qui évoluent durant les répétitions : il faut juste savoir s’adapter !

Qu’est-ce que le concept de « Par les villages » change au processus de création d’une pièce ?
Nathalie Béasse : Ça ne change pas grand-chose vis-à-vis d’un processus de création classique. Il ne s’agit pas d’un décor qui se déplace. Nous travaillons sur ce qui nous entoure. Par exemple, il faut faire attention au sol lorsque l’on arrive dans un nouvel espace car les interprètes courent sur scène (le spectacle est assez physique !). Il faut donc prendre cela en compte. C’est en effet un véritable pari d’accepter ce type d’itinérance pour un spectacle. Cependant, en création, nous essayons de ne pas penser à ce type de détail. Nous décidons de ne pas partir de cette contrainte-là. Dans le cadre de « Par les villages », nous allons jouer dans 12 salles différentes. On ne peut donc pas, durant la création, prendre en compte 12 espaces différents.
Le plus important est ce qui se raconte entre les trois comédien·nes sur scène et ce que révèlent les silences. Ça freine l’imaginaire de faire quelque chose de trop complexe d’un point de vue scénique. C’est pourquoi nous avons un rapport à la technique assez léger afin de pouvoir être le plus autonome possible, avec le strict minimum. C’est cela qui nous permet de proposer un spectacle itinérant et in-situ. En utilisant peu de technique, cela permet d’ouvrir davantage d’espaces intérieurs. Ce que je veux dire par là, c’est que le public est amené à faire davantage travailler son imaginaire. Je ne me pose pas la question de savoir si le public va comprendre ce que j’ai cherché à faire. L’important c’est la discussion et les questionnements qui se créent pour le public pendant et après le spectacle. Ce type de création permet de s’ouvrir à un autre langage et le public accepte de se perdre.
À noter : un échange avec les artistes a lieu après chaque représentation de « Par les villages ».
Interview : Chloé Lefèvre
Le 27 octobre 2021 à la Comédie de Colmar – Centre Dramatique National Grand Est Alsace
Photo : Nathalie Béasse