szenikmag a rencontré Aurélie Bécuwe, flûtiste, directrice musicale et passionnée de l’opérette. Ensemble, nous parlons de son projet « Orphée aux enfers » qui sera présenté le 22 mai au Point d’Eau à Ostwald.
Pourquoi ce choix d’Offenbach ?
Parce que c’est une œuvre joyeuse ! Par les temps qui courent, il faut plus que jamais donner de la joie. Avec Offenbach, on a l’embarras du choix. En 35 ans, il a composé environ 90 opérettes ! C’est l’inventeur de l’opéra-bouffe français.
J’aime son goût pour l’irrévérence. Il renversait les codes amidonnés de son époque (ndlr: « bouffe » est ici la francisation de l’italien « opera buffa », opéra comique). Dans « Orphée aux enfers », le mythe grec d’Orphée & Eurydice a été copieusement revu et corrigé par Offenbach, avec des chamailleries de couple, des cocasseries et des retournements de situation.

Jacques Offenbach (1819-1880) a marqué le Second empire français, il a vécu à Paris et Etretat, mais il était d’origine allemande…
Offenbach est un pseudonyme choisi d’après le bourg natal de son père, Offenbach-am-Main, près de Francfort. Son vrai nom était Jakob Eberst. Il est né à Cologne d’un père cantor dans une synagogue, a étudié le violoncelle au conservatoire de Paris et fut soliste virtuose avant d’opter pour l’opéra comique. En 1855, il créa son propre théâtre, les Bouffes Parisiens, pour y présenter ses propres œuvres.
Votre projet du moment concerne Orphée aux enfers.
Avez-vous conservé le livret in extenso ?
Il y a deux actes et quatre tableaux. Le spectacle à Ostwald (une seule soirée) durera environ deux heures un quart, entracte compris. Nous jouerons la première version d‘Orphée (ndlr : Offenbach a fait en 1874 une seconde version en douze tableaux).
J’ai très peu touché au livret mais j’ai fait une nouvelle orchestration, sans hautbois ni basson. La formation instrumentale (des professionnels attachés à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg) comprend deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, une flûte, une clarinette, une trompette, un cor, un trombone et les percussions.
A quoi s’ajoutent des solistes lyriques professionnels et un chœur amateur, membres de l’association « Brin de folie ». Au total, nous serons une trentaine sur scène.

Comment la pandémie a-t-elle modifié votre travail ?
Elle a d’abord bougé le calendrier ; nous avons dû reporter le spectacle d’Ostwald, prévu de longue date. Il a fallu répéter masqués, choristes compris, avec les inconvénients que vous imaginez.
Nous avons répété soit dans une salle paroissiale, soit au Point d’Eau à Ostwald, soit en plein air, pour nous aérer, dans la forêt de la Robertsau à Strasbourg. On faisait l’attraction auprès des promeneurs…
Quel est le point de départ de « Brin de folie » ?
C’est une association. Je l’ai créée en 2018 pour redonner de la popularité à l’opérette. Entre 2000 et 2005, j’avais déjà participé, en tant que flûtiste, à l’atelier lyrique de Haute-Normandie. On n’y jouait que des opérettes, La Vie parisienne, La Veuve joyeuse, La Belle Hélène, Le Pays du Sourire, L’île de Tulipatan, Les contes d’Hoffmann, ça m’a donné le goût de ce style musical. J’ai plus tard produit « Les Brigands », en 2015/2016 et « La Vie parisienne »,en 2018/2019.
J’ai aussi mis l’accent sur des œuvres méconnues, voire inédites, d’Offenbach. Des œuvres courtes. En plus de ses grandes œuvres, il a écrit une soixantaine d’opérettes en un acte, pleine de drôleries, écrites pour une poignée de solistes, dont «Monsieur Choufleuri restera chez lui », « Lischen et Fritzchen », « Fleurette », « Pomme d’Api ».
« Brin de folie » est un joli mélange qui rassemble des solistes lyriques professionnels, des musiciens de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et un chœur amateur. Nous avons pendant deux ans fait le tour des salles de Strasbourg et de son agglomération avec ces ouvrages, qui ont reçu un vif succès.

D’où viennent les décors et les costumes ?
De la cour de la maison où j’habite, à Schiltigheim, à côté de Strasbourg ! Je visite les vide-greniers de la région, j’y trouve des accessoires que je transforme avec Serge (ndlr : Serge Sakharov, son compagnon, violoniste à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg).
Entre la vie strictement musicale et l’organisation des spectacles, nos journées sont bien remplies ! Il y a beaucoup d’huile de coude, nous avons poncé, nous avons cloué, nous avons repeint… On fait en sorte que les fonds puissent être repris dans d’autres opérettes.
Pour les costumes, on a été au plus simple, avec des tissus collectés autour de nous dans les familles ou achetés dans des brocantes. J’ai eu de solides coups de main pour coudre tout cela en bon ordre.
De métier, vous êtes instrumentiste. Comment êtes-vous passée à la direction ?
C’est un concours de circonstances. J’étais flûtiste à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, je le reste, mais en 2013, j’ai été sollicitée pour remplacer un chef qui devait s’absenter. J’ai accepté, comme un défi à moi-même. Et j’y ai pris goût, beaucoup.
Cela élargit mon rapport à la musique en me permettant de produire et de conduire des spectacles, d’où la création de l’association Brin de folie. Je me vois davantage comme une directrice musicale que comme cheffe d’orchestre à proprement parler. Je réorchestre et je veille particulièrement à la direction du chœur, pour garder le rythme et la justesse du timbre, auxquels j’accorde beaucoup d’importance.

En plus d’Offenbach, quels sont vos compositeurs et œuvres de prédilection ?
J’aime Bourvil, Bobby Lapointe, Verdi (particulièrement La Traviata) , Chostakovitch, Puccini, Tchaïkovsky (j’adore Le Lac des Cygnes)…
Outre Ostwald ce 22 mai, où verra-t-on Orphée ?*
Le 15 juillet prochain, ce sera un grand honneur, nous ouvrirons le festival d’Etretat, dans cette ville de Seine-Maritime où Offenbach a vécu. Début d’une ouverture nationale pour les artistes de Brin de folie ! En Alsace sont aussi prévues deux soirées fin novembre 2021 à la Cité de la Musique à Strasbourg, et une autre le 24 janvier 2022 à Vendenheim.
Vos projets ?
Je reste fidèle à Offenbach ! Orphée aux enfers fut son premier grand succès, en 1858, avant La Belle Hélène (1864), La Vie Parisienne (1866), Les Brigands (1869), La Périchole (1868). Toujours avec Brin de folie, nous abordons maintenant La Belle Hélène, dans l’idée d’une création au festival d’Etretat en juillet 2022. C’est parti, nous répétons avec les choristes depuis le 13 mars.

AURELIE BECUWE,
flûtiste à l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, se passionne pour l’opérette. Elle a grandi en Normandie, dans une famille très musicienne. Elle a étudié au Conservatoire de région de Rouen (diplômée en 2000), au Conservatoire supérieur de Musique de Paris puis au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon.
Elle a très vite élargi ses compétences au-delà de l’instrumentation, vers l’analyse musicale, du piano, la musique de chambre, l’histoire de la musique.
Après son diplôme d’études supérieures de flûte traversière, obtenu en 2006, elle a joué dans l’Orchestre de Paris, au Capitole de Toulouse, dans l’Orchestre national de Lyon, l’Orchestre d’Auvergne, avant d’être titularisée à Strasbourg.
*sous réserve des mesures gouvernementales en vigueur dans le cadre de la crise sanitaire et de la réouverture des théâtres
Interview : Dominique Jung I le 9 mars 2021
Photos : Le Point d’Eau / Brin de folie